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La
première fois que j'ai entendu parler de l'onde c'était lors d'un de
mes vols d'initiation par mon moniteur. Il m'en avait dressé un tableau
tellement idyllique que par la suite je n'ai eu de cesse de traquer les
moindres frémissements des machines que je pilotais afin d'essayer de
franchir la porte virtuelle du domaine ondulatoire.
Préambule : 17 avril 1985 , Pégase BU gain de 3000m
Faire un gain de 3000m au départ de Challes est réalisable pour peu que
l'on parte en circuit flirter avec quelques sommets de 4000m, mais mon
expérience circuits alors pratiquement inexistante, ne me laissait que
le grand local de Challes comme espace de bonheur.
Or un jour, avec un vent de NE en altitude je m'aventurais dans les
cirques cherchant péniblement un ascenseur pour m'ouvrir le passage
vers le Granier.
Ne le trouvant pas, je me suis mis à flâner entre le 1er cirque et le
Corbelet avec l'idée d'aller voir vers la chaîne de l'Epine. C'est alors que je me suis rendu compte d'une situation
bizarre: mes spirales devenaient largement ovales avec un retour coté
Est beaucoup plus long. Le vent de NE venait de se renforcer. J'ai donc
cherché à pointer le nez de mon pégase face au vent en diminuant
progressivement la vitesse mais c'était encore insuffisant, néanmoins
le vario restait positif. J'ai transformé alors mes spirales en grands huit avec
virages face au vent et petit à petit ces huit sont devenus
pratiquement inexistants étant devenus de simples glissades face au
vent.
C'est alors qu'a 2500m d'altitude, j'ai appelé le starter:
-Challes de Bravo Uniforme, je crois bien que j'ai trouvé de l'onde.
-Ou ça?
-Je suis actuellement à 2500m entre le 1er cirque et l'Epine, vario +2 avec un vent du NE estimé à 70km/h.
Je me souviens, René m'a dit par la suite qu'il sortait le Nimbus du hangar.
Il est vrai que j'ai tout de même attendu d'être à 2500m d'altitude
avant de prévenir les copains, après tout, j'avais gagné mon espace de
bonheur!
Dès qu'il y a du vent en altitude, à tout hasard j'embarque un "baro",
ça ne coûte rien, et ce jour là, ma seule préoccupation était de savoir
s'il fonctionnait correctement.
Alors que je voyais rappliquer en dessous de moi tous les planeurs en
local de Challes, je ne cessais de grimper tout en cherchant la vitesse
minimale qui m'aurait permis de caler mon appareil nez au vent, mais la
vitesse du vent n'a jamais été suffisante, m'obligeant à de larges
grands huit.
3000, 3500m je me trouvais alors au-dessus de la chaîne de l'Epine et
j'essayais de dériver en direction du Mont du Chat. Dans ma tête , les
calculs allaient bon train! Le gain de 3000m devenais envisageable,
quelle était l'altitude de mon point bas? Quelle marge devrais-je
prendre pour assurer le gain? L'oxygène? Je n'en avais pas!
4000m ça grimpe toujours avec du +3 constant, ça monte vite! Pas un nuage, de l'huile!
Je mène mon pégase du bout des doigts et du bout des orteils, bien
trimé, les commandes sont imperceptibles, j'engage des huit si
paresseux qu'ils en deviennent interminables, le bonheur!
Au fait l'oxygène? Je me sens si bien, tout est clair dans mon esprit:
mes nombreux allers-retours récents en haute montagne effacent tous mes
doutes.
Déjà quelques machines se rapprochent, René avec son nimbus se porte
presque à ma hauteur, nous engageons alors un ballet à 4500m, glissants
harmonieusement nos machines sur le grand ressaut provoqué par le vent
sur le Mont du Chat.
Mon gain de 3000m est déjà assuré, je rêve au gain de 5000m, mais là
hors de question sans oxygène et puis le vario ne dépasse déjà plus le
+1.
Je grappille tout de même quelques centaines de mètres dans le ciel azur ou le soleil décline lentement sur ma gauche.
La sensation de maintenir le pégase presque immobile au-dessus du sol
est si fascinante qu'on a alors envie que ces moments se prolongent
indéfiniment. C'est mon premier flirt avec l'onde, mais quel bonheur!
5000m, le vario est à peine positif, j'ai déjà 1000m de trop sans oxygène, il faut prendre une décision!
Lentement je décroche en direction de Challes mais jamais je n'ai
trouvé ces violents rotors qui accompagnent en basses couches ces
phénomènes ondulatoires, le vent ayant faibli avec la fin de la journée.
Et c'est après une longue et calme descente que je rejoins en douceur
la 33, où après la fin du roulage, je me précipite derrière le dossier
du siège pour vérifier sur le barographe cette belle courbe qui
m'affiche généreusement 3600m de gain d'altitude!
16 septembre 1986 ASW15 GR gain de 5000m
Il y a des jours comme ça ou tout se conjugue pour créer un évènement qui se grave à jamais dans la mémoire.
C'est ainsi que le 16 septembre 1986 est devenu pour moi le plus merveilleux souvenir de ma vie de vélivole.
Déjà en ce lundi de septembre les nuages dessinaient largement de très
belles formations lenticulaires au-dessus de nos principaux massifs
locaux que sont Belledones Charteuse et Bauges. La météo annonçant le
maintien d'une situation de vent de SO, je parvins in extremis à
prendre une demi-journée de congé le mardi après-midi.
Je suis allé sur le terrain avec l'idée de "tâter" de l'onde sans
réellement penser au gain de 5000m. J'ai demandé s'il y avait une
machine de libre, tous les pégases étaient affectés, il ne restait plus
que l'AS15...
J'avais effectué peu de vols sur cette machine mais elle était saine et
tout de même très proche des pégases en performances. C'est en
inspectant l'intérieur que je suis rendu compte que l'habitacle était
prévu pour loger une bouteille d'oxygène....
C'est à ce moment là que la folle idée de tenter un gain de 5000m a germé dans mon esprit!
Je savais que depuis très peu de temps le club s'était doté de 2
équipements d'oxygène, j'ai couru vers l'atelier avec un mince espoir
car arrivant le dernier et compte tenu de la météo, je pensais que
d'autres avait déjà eu cette idée. Mais, curieusement après une rapide
recherche, j'ai vu que les deux équipements étaient disponibles et
mieux encore, que la veille les bouteilles avaient été remplies en
oxygène!
Je m'emparais d'un équipement, vérifiais que la pression était au maxi,
il ne me restait plus qu'un obstacle à franchir pour tenter l'épreuve,
c'était le barographe.
Il y avait bien un 8000m de disponible mais sans feuille, une rapide
course vers les bureaux, m'a permis de dénicher le précieux
sésame.
J'étais paré, j'avais même mon appareil photo. Malgré le fort vent de
SO en altitude, les basses couches n'étaient pas trop perturbées et la
piste restait organisée en 33.
Au starter les infos des planeurs déjà en l'air n'étaient pas terribles
et personne n'avait trouvé de l'onde, certains s'essayaient sur la
Savoyarde, d'autres au Cire ou au Revard mais sans jamais accrocher
quelque chose de probant.
J'optais donc pour les environs du Nivolet. Après un remorqué pas trop chahuté, je me suis largué en direction du Cire.
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Là, pendant une demi-heure j'ai "ramé" au-dessus et légèrement en avant
des crêtes, sentant bien qu'il se passait quelque chose mais incapable
d'accrocher quoi que ce soit.
A la radio, j'entendais certains dire que "ça donnait à la Savoyarde"
alors l'idée me vint d'aller m'y frotter. Aussi je décidais de me
rendre là bas mais sans trop m'approcher de la Chapelle ou du Gelas,
c'est ainsi que j'ai transité en passant plutôt au-dessus du terrain.
Je n'ai perdu que très peu d'altitude et lorsque je passais au-dessus
de l'extrémité sud du terrain, le vario est passé à +1 et je devais
contrer la machine qui avait tendance à dériver vers la Chapelle.
Mais plus j'orientais la machine vers le SO, plus le vario devenait
positif et après quelques aller-retours genre grands huit mais sans
jamais tourner le dos au SO mon vario a rapidement atteint le +5m/S !
Les allers-retours sont rapidement devenus inexistants, J'avais le nez
du planeur orienté vers les Belledones et à 90km/h j'avançais
faiblement par rapport au sol,
cette fois c'était sûr: j'étais dans l'onde!
Je me situais approximativement entre le Granier et la Savoyarde, tout est alors allé très vite.
En 5 minutes j'avais déjà atteint 3000m, c'est alors que j'ai annoncé l'onde au starter Challes.
Cependant je devais encore fouiner, délimiter mentalement la zone
positive et m'y caler au mieux car la vitesse du vent n'était pas tout
a fait suffisante pour maintenir un parfait surplace.
Afin de ne pas me laisser enfermer, j'avais également à surveiller le
système nuageux qui avait plutôt tendance à se former derrière moi,
laissant un vaste trou de ciel bleu entre Belledones et Bauges.
En réduisant ma vitesse à 85 km/h, j'ai enfin trouvé le point
d'équilibre me laissant pratiquement immobile par rapport au sol.
3500m, je teste l'oxygène et j'avale quelques bouffées pour me donner
du courage, pour affronter ce que je ressens au fond de moi-même, sans
oser l'espérer: un gain de 5000m à Challes, pour un jeune pilote qui a
tout juste réussi à faire ses 50 Km!
4000m, +4m/s au vario je prends quelques photos et je place le masque à oxygène sur mon visage.
L'altimètre ne cesse de grimper, ça va très vite, quelques minutes suffisent pour gagner 1000m!
Je maintiens ma position, trime au mieux ce cher AS15 qui ne vibre
absolument pas, de temps en temps j'ôte le masque pour pouvoir informer
le starter de mon altitude qui augmente sans cesse et de ma position
qui ne varie pas.
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5000m, petit à petit, le vario est descendu à +3,5m/s. Je suis bien,
très bien même à part le bruit de la radio dont le cercle d'écoute
s'est considérablement élargi avec l'altitude: j'entends des italiens
et les clubs du Sud.
Cet ASW15 est merveilleux, j'ai l'impression d'être figé dans l'espace
et le temps, je lâche le manche et affine le compensateur, je navigue
dans de l'huile, tout est si fluide, si calme, je n'ai qu'a regarder
autour de moi, les masses nuageuses cotonneuses paraissent si paisible
bien quelles se forment et se déforment à la vitesse du vent. J'ai
presque envie de retenir ma respiration,
Oh temps suspend ton vol...
5500m, +3, bien que le vario baisse régulièrement, je sens que ce
système ondulatoire me mènera au bout de mon espoir le plus profond, de
mon rêve d'un jour.
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Cependant certains détails m'interpellent: l'altimètre n'est gradué que
jusqu'à 6000m et lentement je vois l'aiguille terminer son tour et se
rapprocher du 0 (6000)m. Quelle sera son comportement après? Et ce n'est pas
tout: le niveau 195, je n'ai pas le droit de le dépasser, mais mon
point bas doit se situer à 1200m environ, pour un gain de 5000m assuré,
il me faut au moins 300m de marge surtout avec l'imprécision du baro.
Voilà, le problème se présente!
Je dois au moins monter à 6500m avec un altimètre gradué à 6000m sans dépasser le niveau 195! Impossible.
Je flirte déjà avec les 6000m et j'ai encore +2 au vario.
J'appelle Pierre Pellier qui monite dans son fidèle JR et lui fait part de mon problème.
L'exercice est difficile: je dois ôter mon masque, parler, remettre mon
masque et trier la réponse de Pierre dans la multitude de messages que
l'altitude me fait capter.
Dans le brouhaha que crache la radio j'ai cru comprendre qu'il serait
dommage de passer à coté d'un gain de 5000m pour quelques centaines de
mètres!
Est-ce bien ce qu'on m'a dit ou bien ce que je voulais entendre, en
tout cas, ce que j'en ai déduit, c'est qu'il valait mieux assurer le
gain de 5000m plutôt que de trop penser au niveau 195!
A quelle altitude suis-je donc?
L' aiguille de l'altimètre est arrivée au 0 et a poursuivi son chemin.
Me voici déjà à (6)300m, l'instrument continuerait-il à fonctionner au-delà de 6000m? Oui mais avec quelle précision ?
(6)500m, le vario est à +1,2m/s, je maintiens ma machine au même
endroit bien que cherchant à droite et à gauche un emplacement
permettant de vitaminer mon ascension, mais tout est égal et je n'ose
m'éloigner de cette zone tant que je n'aurai pas la certitude d'avoir
'bétonné" le gain de 5000m.
L'oxygène : j'ai déjà respiré plus de la moitié de la bouteille et j'ai
bien à l'esprit qu'il me faudra garder une marge pour pouvoir
redescendre jusqu'à 4000m.
J'ai également une autre préoccupation: bien que l 'altitude affichée
est de 600m, suis-je bien à 6600m? Les indications de cet appareil en
dehors de son domaine de fonctionnement sont-elles fiables?
Dans le doute et vu les conditions, je décide de poursuivre jusqu'à
1000m, soit 7000m théoriques en espérant que la cellule tout en
plastique de l'ASW15 ne laisse pas de signature au différents radars
sinon bonjour ma licence!
(6)800m, +0,8m/s, je vois transiter en dessous de moi un bimoteur en direction de Grenoble!
La montée se fait plus lente, la radio crache un flot ininterrompu de
conversations de vélivoles en français, anglais, allemand et italien.
Souvent, je passe sur 118,4 afin de ménager mes oreilles et la batterie!
L'aiguille de l'altimètre arrive sur le 1: 7000m en théorie! Je prends
une photo du tableau de bord, puis après coup je me dis que cela ne
sert à rien, on ne verra qu'un vario à +0,5m/s et un altimètre à 1000m!
Je prends alors quelques photos là où le trou de foehn me laisse
entrevoir le relief. Le Margeriaz, loin si loin en dessous ne ressemble
plus qu'a un triangle perdu en dessous des nuages, le Grand Colombier
est si petit.
De fins cristaux de glace tapissent la partie de la verrière non
exposée au soleil et curieusement, sans doute grâce à ce vent venant en
partie du sud, et -grosse erreur- malgré l'oubli d'un vêtement chaud,
face au soleil qui descend, en bras de chemise, je n'ai pas froid.
La pression d'oxygène ne me laisse maintenant que le temps d'un
descente sans tarder, aussi la décision est vite prise, j'entame une
large spirale de 20km de diamètre à 150km/h qui ne me fera perdre que
1000m.
L'oxygène descendant plus vite que l'altitude, de décide d'une autre spirale tout AF sortis!
Vario bloqué au négatif, je n'ai pas su si je suis passé dans des zones
fortement descendantes mais je suis très rapidement parvenu à 3500m ou
j'ai pu rentrer les AF et ôter le masque, il restait encore de
l'oxygène, je décompressais un fois encore pour soulager les oreilles.
J'ai envie de me poser pour voir si le barographe a correctement
fonctionné mais en même temps j'ai le désir de rester en l'air pour
savourer ces moments uniques, alors je flâne par-ci par-là tout en
perdant régulièrement de l'attitude.
Une demi-heure plus tard, je m'annonce en vent arrière, en vain car
j'appris par la suite que depuis le début de ma descente le starter
n'avait plus de mes nouvelles, la batterie de la radio étant vide.
Après un circuit même pas agité, un roulage tranquille, la aussi je me
suis précipité hors de l'habitacle cherchant fébrilement le barographe. |
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J'ai bondi en l'air lorsque j'ai enfin pu voir cette belle courbe qui confirmait mon gain de 5000m à Challes-les-Eaux
Avec un point bas à 1200m l'appareil avait lui enregistré une altitude
maxi de 6600m ce qui me fait tout de même un gain de 5400m et surtout
un souvenir impérissable.
18 ans après, que de souvenirs !!
Jean-Dominique NdW:
L'espace aérien dans notre région devient de plus en plus restreint à la
suite de la définition de nouvelles zones de descente pour servir le trafic
à destination de Lyon Saint Exupéry et Genève. Le vol de Jean Do est
exceptionnel et le restera, et son témoignage n'est en aucun cas une
incitation à transgresser la réglementation. Il est demandé à tous les vélivoles
challésiens (et à nos visiteurs) de respecter scrupuleusement les contraintes imposées par la
réglementation pour leur sécurité et celle des aéronefs qui partagent
notre espace. La
nouvelle carte DGAC montre combien le plafond autour du terrain a été
réduit. Avec des thermiques comme ceux de l'été 2003, on est vite au
niveau 115, alors attention, respectons les limitations. |